Rien que quelques souvenirs d'enfance, comme ceux-là, qui reviennent à l'esprit.
Déjà longtemps, le temps a passé, il n'en reste à présent que quelques brides, quelques images, mais gravées profondément en moi.
Nurlu, j'étais en vacances à cette époque et c'était l'été, par un bel après midi, j'étais parti avec mon oncle, aux champs, il était ouvrier agricole dans une des fermes du village, son rôle au juste était de faire à peu près tout ce que lui demandait son patron, il s'y connaissait pas mal en électricité aussi, ça aidait quand il fallait faire des montages dans un bâtiment par exemple, car ce n'était pas encore très moderne et les installations étaient assez rudimentaires, mais n'empêche qu'il fallait quelques compétences.
L'hiver, il s'occupait beaucoup des couches d'endives et des chaudières aussi, et l'été il participait à presque tous les travaux en cours, en bref, c'était un homme à tout faire.
Cet après midi là donc, nous étions partis vers la -cronière- comme disaient les gens, en fait c'est du patois, ce qui se traduit par la carrière et il s'agissait d'une petite carrière de craie qui servait auparavant. Pour s'y rendre, il fallait emprunter un petit chemin de terre situé juste à coté du château d'eau et qui menait jusqu'à Moislains, c'était un petit chemin à peine carrossable avec des grandes ornières formées par les tracteurs agricoles surtout, de ces ornières parfois remplies d'eau lorsqu'il pleuvait beaucoup ou à la suite des orages d'été, il arrivait même parfois que les tracteurs restent coincés dans ces ornières, il fallait alors aller chercher de l'aide et revenir avec un autre tracteur pour le dégager.
Pas de quatre roues motrices, c'était des petits Renault, des Farmall ou des Massey-Ferguson pour la plupart, il restait malgré tout des anciens tracteurs des Société Française, des Lanz et autres avec leur moteur monocylindre au bruit si typique.
Tout cela pour dire que lorsqu'un véhicule empruntait ce genre de chemins, il avançait presque au pas des boeufs, on avait le temps de le voir et l'entendre arriver.
Et pour les rares voitures qui s'aventuraient c'était la même chose, il s'agissait en fait des agriculteurs qui parfois venaient avec une 2CV, les ouvriers à cette époque n'avaient pas encore de voiture, enfin pas par ici.
Ce petit chemin donc nous menait à la cronière et arrivé à cet endroit il y avait un fort dénivelé d'une trentaine de mètres, ça descendait sec comme on dit et les tracteurs agricoles étaient vite en dfficulté à cet endroit,
Je me souviens qu'il y avait à cet endroit un abri en tôles qui servait de remise à un buldozer qui appartanit au patron de mon oncle, cet engin restait à demeure là-bas.
Je ne me souviens plus au juste du pourquoi mon oncle était parti à cet endroit, peut-être pour nettoyer une pièce ( petite parcelle) d'endives, mais je me souviens que les blés étaient fauchés, à cette époque avec une faucheuse lieuse tirée par des chevaux.
Cette photo est déjà parue sur le blog, je la remets avec plaisir.
Ensuite des ouvriers hommes et femmes ramassaient les bottes pour les mettre en cavaliers et ils restaient ainsi avant d'être ramassés et engrangés et le battage se faisait ensuite.
Cette photo aussi est parue sur le blog, c'est ça des cavaliers pour ceux qui n'ont pas connus.
Il faisait chaud et moi je découvrais un peu comme le font les enfants, surtout que je n'étais pas spécialement en terrain familier, mais je ne m'éloignais pas trop non plus.
Arrivé un moment, mon oncle s'arrêta de travailler et nous remontâmes la pente pour nous placer plus sur le haut.
Là il s'assit dans l'herbe et décréta de faire une pipe comme ils disaient entre eux, faire une pipe en fait c'était fumer une clope, il fumait du gris, du gris qu'il roulait dans ses doigts... et sa clope finie la pipe commençait vraiment, c'est-à dire qu'il faisait une sieste.
Allongé sur le dos, son chapeau sur les yeux pour se cacher les yeux du soleil, il me dit de le prévenir si j'entendais un moteur arriver, au cas où son patron viendrait.
À cet instant je devins le gardien de sa tranquillité et j'étais aux aguêts, content mais anxieux quand même.
Dormait-il vraiment, c'est fort possible car il aimait faire une petite sieste, mais toujours est-il que je prenais mon rôle au sérieux, pensez donc.
Allongé à ses côtés, je profitais de ces instants avec une plénitude réelle, écouter le chant des alouettes et d'autres oiseaux aussi, contempler le ciel et ses quelques nuages, leur trouver un lien, une signification, imaginer... Une douce brise carressait mon visage et faisait ondoyer les grandes herbes, par çi, par là un papillon passait, il y en avait des vraiment beaux et tous ces insectes qui passaient à proximité, certains je les connaissais, mais d'autre non, alors c'était une découverte, j'apprenais...
Combien de temps s'est-il passé avant que d'un coup j'entende une voix, qui de suite me mit sur mes gardes, elle ne venait pas de derrière nous, du chemin, mais bel et bien d'en bas, de vers la plaine, j'écoutais, j'essayais de déterminer de quoi il s'agissait.
La voix se rapprochait, je l'entendais mieux, plus forte à présent, des yeux je cherchais et mon instinct me dit qu'il valait mieux prévenir mon oncle, je le secouais doucement, il dormait, ouvrant les yeux je lui dit qu'il y avait quelqu'un qui se rapprochait.
Au même moment, je vis un homme dans le champ de blé, il ne parlait pas en fait, il criait plutôt, vociférait même, mais nous étions trop loin pour comprendre ce qu'il disait.
Tapi comme un renard, je le regardais, mon oncle ayant relevé la tête pût l'apercevoir aussi; Il me dit de ne pas bouger, <C'est CH'TOINE> (Antoine) me dit-il.
Chose que je fis bien sûr, et c'est ainsi que je vis notre homme, démonter chaque cavalier en s'époumonnant, balançant les bottes de blé à droite et à gauche, systématiquement, il était enragé, je l'entendais crier, je n'étais pas rassuré certes, mais j'avais confiance car mon oncle s'était traquillement rallongé, une roulée au coin des lèvres.
Le travail fût éxécuté dans les règles de l'art, rangées par rangées, les cavaliers furent démontés, les bottes de blé jonchaient le champ, pas un cavalier ne restât debout.
Cela fait il repartit comme il était venu.
<CH'TOINE l'a bien travaillé > dit mon oncle, au vu du tableau qui s'offrait à nos yeux, <Ch'père Jean va pas être content, surtout t'en parles à personne hein!>
Jusqu'à ce jour, je n'en ai parlé à personne; Le temps a passé, de tous ces acteurs, il ne reste personne, à part moi bien sûr.
Rentrant à la ferme mon oncle prévint son patron qu'il avait trouvé le champ de blé tout retourné, mais qu'il n'avait vu personne, son bérêt sur la tête papa Jean comme l'appelait sa femme et d'autres aussi d'ailleurs, sa cigarette roulée au coin des lèvres se gratta la tête et dit,< Eh ben, on n'aura pû qu'à les refaire, j'mande bien qui ché qui a pû faire cho, ptète des gosses, hum...> (je me demande bien qui a pû faire ça, peut-être des gosses
Il allait partir quand il se retourna et me lança: <ça sro pas ti par hasard?>( ça ne serait pas toi par hasard) avec son accent du Nord dont il était originaire, <tu y éto!> (tu y étais!)
En faisant un clin d'oeil à mon oncle...
CH'TOINE, beaucoup se souviennent de cet homme, pauvre bougre qui vivait au village, dans l'ancien poste à incendies, pas méchant pour deux sous et qui lorsqu'il avait bu plus que de coutume récitait:
L'expiation, les châtiments, la retraite de Russie de Victor HUGO
Il neigeait. On était vaincu par sa conquête.
Pour la première fois l’aigle baissait la tête.
Sombres jours ! l’empereur revenait lentement,
Laissant derrière lui brûler Moscou fumant.
En définitive, il y avait probablement un différend entre lui et le propriétaire du champ qui le faisait travailler de temps en temps, mais cela ne nous regarde pas.
Les cavaliers furent ramassés et remis en place par les femmes et hommes travaillant sur l'exploitation dès le lendemain.
Il neigeait. On était vaincu par sa conquête.
Pour la première fois l’aigle baissait la tête.
Sombres jours ! l’empereur revenait lentement,
Laissant derrière lui brûler Moscou fumant.
Il neigeait. On était vaincu par sa conquête.
Pour la première fois l’aigle baissait la tête.
Sombres jours ! l’empereur revenait lentement,
Laissant derrière lui brûler Moscou fumant.
Il neigeait. L’âpre hiver fondait en avalanche.
Après la plaine blanche une autre plaine blanche.
On ne connaissait plus les chefs ni le drapeau.
Hier la grande armée, et maintenant troupeau.
On ne distinguait plus les ailes ni le centre.
Il neigeait. Les blessés s’abritaient dans le ventre
Des chevaux morts ; au seuil des bivouacs désolés
On voyait des clairons à leur poste gelés,
Restés debout, en selle et muets, blancs de givre,
Collant leur bouche en pierre aux trompettes de cuivre.
Boulets, mitraille, obus, mêlés aux flocons blancs,
Pleuvaient ; les grenadiers, surpris d’être tremblants,
Marchaient pensifs, la glace à leur moustache grise.
Il neigeait, il neigeait toujours !
Je n'ai pas particulièrement connu ce personnage haut en couleurs, mais j'ai quelques souvenirs de lui, bien que celui-çi soit le plus marquant à mes yeux, je suis persuadé que nombre de personnes du village peuvent en raconter aussi, sans porter de jugement de quelque ordre que ce soit, évoquer des souvenirs, se rappeler un peu afin qu'il ne tombe dans l'oubli.
Je ne saurai terminer sans vous dire que
CH'TOINE ramassait avec les autres le lendemain!