Je crée ce blog avant tout pour faire connaitre notre village, ce qui s'y passe aux alentours aussi,le raconter au fil du temps, afin de constituer une mémoire pour ceux qui le connaissent de près ou de loin. Que chacun se souvienne, y puise ce qu'il cherche ou tout simplement participe à l'enrichissement de ce site.
En vacances;
Il y a longtemps, j'étais encore un enfant.
Que je l'ai connu, je ne sais plus comment au juste mais ce n'est pas très important.
Je me souviens de ses parents, de sa famille, un peu seulement, je n'étais pas très grand.
Et il doit y avoir approximativement cinquante ans.
C'était une famille de pauvres gens, ouvriers agricoles, plus malheureux que d'autres en fait.
Vivant de peu, se contentant de presque rien, mais ne demandant rien non plus.
Des gens d'une grande simplicité, mais avec au fond d'eux-mêmes la richesse d'esprit qui manque à beaucoup.
Et puis la vie a fait que je suis revenu dans ce village, pour y habiter, il y a bientôt vingt ans.
De cette famille, il n'en restait qu'un. Il s'appelait Georges.
Georges,
Tu vivais dans la même maison qu'auparavant, cette maison n'en n'avait plus que le nom. Tellement elle était délabrée, avec ses carreaux cassés, son toit en mauvais état, sa porte qui ne fermait
même plus.
Tu vivais là, sans eau, sans électricité, sans chauffage, sans commodité.
Tu vivais là, sans rien, dénué de tout, avec presque rien à manger, sauf un pain
octroyé par la commune.
Tu vivais là, tu restais là, parce que tu ne pouvais vivre ailleurs
Tu vivais là , tu restais là, parce que partir ne pouvait être meilleur.
Dehors ton outil de travail, ton seul bien, l'héritage de ton passé, cette fameuse carriole qui a tant et tant servie à arpenter les environs avant, avec ton frère Marcel, disparu bien avant
toi.
Cette carriole qui vous servait à chercher de la ferraille, que vous stockiez sur le côté de la maison, pour la revendre ensuite, ce qui vous procurait quelques subsides, si peu en vérité. Cette
carriole qui vous servait également à ramener quelques morceaux de bois ou d'arbres ramassés de çi de la et qui servait non seulement à vous réchauffer le coeur mais aussi permettait de faire
chauffer votre maigre pitance.
Je t'ai retrouvé seul, toujours au même endroit, comme une bouée ancrée au fond de l'océan.
Je t'ai retrouvé seul, fidèle à toi même, déambulant dans le village, poussant désormais ta fameuse carriole, elle même de plus en plus délabrée, mais qui par sa solidité resistait encore. Et
pourtant avec ses roues en fer, son chassis de cornières et sa tôle épaisse pliée en U qui servait de caisse.Et qui faisait un bruit que je n'oublierais jamais.
Pourtant, malgré sa lourdeur, tu parvenais encore à la pousser, grâce à son long timon que tu appuyais sur ton ventre ramenant parfois des charges de plusieurs centaines de kilos.
Tu la poussais arc-bouté, cherchant par cette position à avancer en préservant tes efforts, à préserver tes forces surtout. Parcourant les environs, allant fouiller à cette époque les décharges
sauvages existantes encore à proximité des villages, ramassant ce que les gens jetaient là, parce que la ferraille ne valait pratiquement rien et qui ne désiraient pas s'encombrer de cela chez
eux.
Alors, quelques tôles rouillées, des morceaux de tuyaux, un vieux lave linge ou autre, parfois la chance, un peu de cuivre, un radiateur en fonte, un moteur de voiture, du, un peu plus lourd, te
permettait au fil des jours de gagner quelque argent.
Ainsi parfois tu allais jusqu'à la décharge de Péronne, au Mont st Quentin, je t'ai vu revenir de Bouchavesnes aussi mais je pense que ce devait être exceptionnel.
De rares fois aussi, tu (garais ) ta carriole quelque part à l'écart, pour aller la rechercher plus tard, sans doute ces jours là tes forces t'abandonnaient-elles au point d'opter pour cette
solution.
Mais c'est surtout quand tu l'amenais aux abords du village dans l'après midi pour aller la retrouver aux aurores le lendemain, que j'ai découvert en toi des facettes ignorées de beaucoup.
Je ne veux pas réveiller ché gens, me confiais tu.
Combien de fois ai-je pu ainsi te rencontrer sur la route de Péronne, aux environs d'aizecourt le haut, l'été quatre heures trente, quand je partais au travail.
Un petit coup de klaxon au passage, un petit signe de la main de ta part, nous nous étions reconnus.
Tu étais encore costaud à cette époque, nous étions dans les années 1990 ou dans cette période.
Mais comment faisais tu?
Ce n'est que peu de temps après, habitant à proximité de toi et constatant l'extrème dénuement dans lequel tu vivais que j'ai avec ma compagne décidé de te venir un peu en aide.
Mais comment le faire sans heurter ta sensibilité, sans atteindre ta personnalité, toi qui ne demandait rien.
Tu ne demandais rien, mais tu savais aussi accepter les quelques petites choses que certaines personnes te donnaient. Mais le problème était que tu ne possédais rien qui te permette de
réchauffer, encore moins de cuisiner quoi que ce soit. Alors, tu allais échanger ces boites de conserves ou autres aliments de la sorte, sous prétexte que tu n'aimais pas, en échange d'une pièce.
Et tu trouvais preneur!
Cette pièce ainsi récoltée de cette manière, une autre en échange d'un petit service te permettaient par la suite d'aller chercher ta bouteille pour boire un coup.
En fait, tu n'avais pas l'eau chez toi bien sûr, mais ce coup de rouge te servait de nourriture aussi, de carburant en quelque sorte.
Quelques temps après, j'ai remarqué que tu ne sortais plus du village avec ta grosse carriole, tu l'as abandonnée, devenant trop lourde pour toi, en remplacement tu avais pris une poussette
d'enfant bien plus légère, mais moins résistante aussi.
Parfois tu perdais une roue et tu me demandais de la rafistoler, pour qu'elle tienne un peu.
Peu à peu, je voyais ta longue silhouette arpenter les rues du village, toujours vêtu de la même façon, d'habits bien trop grands pour toi, mais étaient-ils vraiment trop grands ou est-ce
ton état de maigreur qui donnait cette impression.
Ainsi donc et pour cela, peu à peu, nous avons réussi à te venir en aide.
Le matin, on te déposait un thermos de café devant ta porte, le midi et ensuite le soir, je te menais à manger, ainsi tu pouvais prétendre à manger chaud comme nous. Il nous suffisait d'en
faire un peu plus.
Parfois il m'est arrivé de rentrer chez toi, sur ton invitation.
Je me souviens la première fois, en poussant la porte je m'attendais à tout mais pas à cela.
Tu m'as ouvert ta porte, je suis entré et pour la première fois de ma vie j'ai fait connaissance avec la misère.
La vraie misère.
Tu vivais là, dans une seule pièce, une petite table, encombrée de tout, à droite contre la fenêtre un vieux lit qui n'avait que le nom pour savoir que c'est dessus que tu dormais et en face de
la fenêtre, un vieux buffet brinquebalant. Et tout cela dans un état de saleté incroyable. Au milieu de la pièce un petit bidon de tôle dans lequel tu faisais brûler des feuilles de papier
récupérées d'un côté ou d'un autre, ou parfois encore quelques petits bouts de cagettes, ce qui conférait à l'endroit une noirceur digne d'un lieu incendié.
Même pas une assiette propre, ni une casserole, rien qui puisse ressembler de près ou de loin à de la vaisselle, hormis deux verres colorés de rouge par le vin qu'ils ont contenu.
Je me souviens avoir pris un vieux plat et une assiette creuse, qui trainaient là, si sales, qu'on n'aurait même pas osés s'en servir pour des animaux. Je les ai emmenés chez moi et décapés,
lavés à l'eau de javel pour les désinfecter, puis relavés encore avant de lui rendre enfin propres, en lui donnant aussi des couverts. Ainsi, il sera mieux pour manger, j'avais cette pensée dans
la tête.
En parlant autour de moi, une personne du village, qui s'occupait de la croix rouge à cette époque fît don d'un ancien poêle triangulaire, un petit modèle certes, mais ce serait suffisant. Je me
mis en devoir de le lui installer en ayant pris soin auparavant de nettoyer la cheminée et de m'assurer de son bon fonctionnement.
Du travail, je ramenais du bois de palettes que je coupais pour lui afin qu'il puisse le brûler et ainsi se réchauffer. Je fis cela jusqu'au jour où une personne du village vînt à me demander si
c'était moi la personne qui lui donnait du bois, sur mon affirmation, elle me dit que Georges allait revendre ce petit bois contre une pièce. Bien sûr que mon sentiment premier fût sans doute la
colère, puis la déception par la suite, mais je ne lui en tînt pas rigeur pour autant.
Qu'aurais-je fait à sa place? Peut-être la même chose, je n'en sais rien. Toujours est-il que je ne lui plus donné de bois. Je n'allais pas prendre sur mes temps de pause au travail, lui couper
pour qu'il fasse cela. Il se débrouillera autrement pensais-je.
Un jour parlant de lui, avec un homme du village, il me raconta cette anecdote.
Ah ce georges! vous savez une fois je lui dépose des tubes de ferraille dont je n'avais plus l'utilité. Eh bien savez vous quoi, il vient me les revendre, disant que ça peut me servir! Le mieux
c'est que je lui rachète me dit-il en souriant.
Je lui ramène après et ça revient.
En plus je lui achète un coup de temps en temps du pinard, un petit cadeau comme ça, Oh pas du grand cru quand même, mais pas de la picrate non plus.
Sacré Georges.
Pas d'électricité, qu'à cela ne tienne, je lui fournis des bougies en lui disant de bien faire attention quand même, ainsi les soirées d'hiver, ça sera mieux pour lui, je lui fournis aussi les
allumettes. Peu à peu je remarque que les bougies durent de moins en moins longtemps, aussi un après midi vers dix huit heures lorsqu'il vient frapper à ma porte pour en avoir une alors que
deux jours auparavant je lui en avait déjà donné , je décide de le surveiller. Il s'en va sans rentrer chez lui et traverse le village. Nous sommes en hiver, il fait froid et le brouillard
enveloppe les maisons, je vois son ombre à la lumière des poteaux électriques, une image surréaliste que ce grand corps dégingandé qui se déplace tanguant d'un côté, puis de l'autre, mais
qui avance. A coup sûr mon gaillard, tu n'es pas clair. Ainsi, et je l'avais déjà compris, il parvient jusqu'à une maison où vivait une famille dans le besoin.
Je devrais plutôt dire une famille dans le malheur, il y avait à l'intérieur plusieurs personnes dont des enfants entres autres ;L'électricité leur avait été coupée et les conditions de vie
étaient sans doute déplorables.
Que dire de cela, que dire de ta démarche Georges si ce n'est qu'elle t'était dictée par un sentiment de bonté, d'humilité que je me dois de faire connaitre aujourd'hui.
Témoin de cet acte, que pouvais-je en penser, en déduire d'autre que cela.
Si ce n'est qu'il y avait au fond de toi beaucoup d'humilité, beaucoup d'amour aussi.
Toi le plus pauvre de tous, tu savais donner. Quelle beauté dans ce geste.
Que penser de toi, lorsque la nuit, tu allais te receuillir sur la tombe des tiens ou celle de personnes que tu avais apprécié.
Si ce n'est que tu étais profondément humain aussi.
Avec l'aide de quelques personnes qui enfin prennent conscience, une demande auprès de la commune pour l'octroi de charbon lui est accordée.
Lui réchauffer un peu le coeur, lui accorder un peu plus de place, enfin.
Ainsi iront les choses, la seconde année, certaines personnes informées de notre action et conscientes du coût que cela représente pour nous se proposent de participer quelque peu et des
démarches entreprises par d'autres aboutiront à l'obtention d'un colis alimentaire que nous nous chargerons de lui donner chaque jour afin d'éviter certaines dérives. Au fil des semaines je peux
remarquer que nos efforts ne sont pas vains, il reprend du poil de la bête.
Un jour, lui menant son repas, je frappe à la porte, il ne répond pas mais dans ce cas je lui dépose à l'intérieur, ce que je fais.
Alors que je lui verse ses aliments, un bruit, je me retourne, du lit, enfin de dessous une pile de vestes de toutes sortes et de morceaux de couvertures Georges s'extirpe tant bien que
mal, il faut dire qu'il fait très froid, une fois la première surprise passée, la seconde fait place à l'effroi durant quelques secondes. De longs cheveux blancs, enfin plutôt gris parce que
sales lui descendent jusqu'à environ vingt centimètres sous les épaules. J'ai une vision à laquelle je ne m'attendais pas, et à vrai dire je ne m'étais jamais posé la question. Ainsi sous son
berêt il cachait sa longue chevelure, enroulée de sorte que ça ne se voyait pas.
Sur le coup, il ressemblait à s'y méprendre à un visage bien connu de tous et qui est présent dans toutes les églises, avec sa barbe de plusieurs jours, c'était frappant.
L'évocation de cette pensée me fait penser que de nombreuses fois l'envie de te prendre en photo m'est venue, mais je ne l'ai jamais fait, jamais osé, de peur d'un refus de ta part, mais aussi
par respect pour toi, et le faire sans ton consentement m'était impossible, je ne voulais pas atteindre à ton identité, à ton intégrité.
Il reste comme un sentiment de regret sur ce point.
Notre aide auprès de toi aura duré deux années donc, suite à certaines reflexions de la part de certaines personnes qui ne comprenaient pas pourquoi on faisait cela, qu'il avait toujours vécu
comme cela etc.. j'ai décidé de ne pas poursuivre dans cette voie à mon grand regret. Laissant à la critique le soin d'agir.
Personne ne prit le relais, ainsi les choses rentrèrent dans l'ordre. Enfin dans la convenance.
Les choses donc reprirent leurs cours et ainsi alla notre bonhomme rendu à sa malheureuse condition.
Ses forces l'abandonnant, à mesure que sa santé se dégradait, il était courant que notre ami Georges se retrouvait ivre au point de bouler n'importe où, rond comme une queue de pelle disaient
certains, mais il est vrai pour sa défense qu'il lui en fallait de moins en moins pour le saoûler. Ainsi il dérangeait nombre de personnes bien pensantes ou pensant pour son bien dirais-je.
Ses écarts de conduite le menaient parfois à n'être plus maître de lui, son comportement pouvait mettre son intégrité physique en péril ou à son corps défendant être responsable d'un
accident.
Et puis, était venu le temps où il dérangeait, sa présence gênait, il n'avait plus sa place et la conviction fût faite qu'il fallait lui trouver un autre endroit, ailleurs..
Pour sa sécurité, pour n'offusquer personne dirais-je.
La décision fût prise de le (déplacer). Un jour, alors que je sortais de chez moi, un gendarme gardait sa maison, l'empêchant de rentrer chez lui, attendant qu'on vienne le chercher.
Je me souviens de son désarroi lorsqu'il me dit; Regardes, il veulent plus que je rentre chez moi, ils vont m'emmener. Je n'ai trouvé rien à lui dire, ulcéré par ce qui se passait, témoin
malgré moi d'un acte sans nom, même si c'était pour son bien.
Ainsi les mois passèrent, jusqu'au jour où je le vis arriver devant moi, tout propre dans des vêtements plus ajustés, mais le voir ainsi devant moi, tremblant désormais de tous ses membres me fît
mal. Bien sûr à n'en pas douter il était mieux soigné, mieux nourri, il bénéficiait d'un confort certain, il n'avait plus à craindre le froid, ni les affres de la vie, bien sûr j'étais conscient
de cela, mais ce n'était plus tout à fait mon Georges.
Ils lui ont volé son identité pensais-je.
Ainsi des mois après, et sur sa demande des personnes pouvaient le faire sortir un peu du lieu où il était, allaient le chercher pour le ramener dans son village, puis le ramener ensuite,
dévouées qu'elles étaient à son égard, concientes sans doute qu'on lui devait au moins ça. Mais aussi parce que ces personnes sont très charitables et serviables aussi.
Plusieurs fois, j'ai donc eu la très grande chance de recevoir sa visite, même brève, surtout toujours trop courte à mon avis, mais j'appréciais ce moment à chaque fois.
Puis un jour la nouvelle de ton décès m'attrista au plus haut point, nous étions en Avril 1999.
Tu es revenu dans notre village, pour y être enterré,
Ce jour là, beaucoup de monde était présent, la messe fût belle, tout comme ton cerceuil. La commune te rendait hommage et je peux dire qu'elle avait bien fait les choses. Tout avait
été pensé pour te rendre enfin ta dignité et te reconnaitre comme faisant partie des siens.
Dans le cimetière, à la reflexion d'une dame qui justement reconnaissait que c'était bien, je lui répondis;
A lui seul, Georges était un monument dans notre village.
Il y a longtemps que je voulais parler de toi, de l'homme que tu étais, simplement cela.
Et te dire que je pense encore à toi Georges.
Qui peut affirmer qu'il serait capable de vivre comme lui, dans de telles conditions..
Je ne saurais clore cette page, sans remercier les personnes qui ont participé simplement à lui rendre son quotidien meilleur et surtout ont eu la délicatesse de ne jamais le juger.